Les séries américaines et le workaholisme
Dans la série j’ai dix ans de retard (littéralement, dans ce cas précis), je suis en train d’avaler les saisons de The West Wing. Il va sans dire que je suis devenu un fan absolu des pérégrinations de ce staff fictif de la Maison Blanche sous une présidence démocrate. Un détail me gêne souvent, pourtant. Si l’on en croit les dialogues et les diverses situations mises en scènes, toute l’équipe senior qui entoure le président travaille quasiment jour et nuit. Dans l’épisode que j’ai regardé ce matin par exemple, on nous montre le chef de cabinet adjoint de la Maison Blanche, Josh Lyman (photo) à son réveil. La pendule indique qu’il est 5h14 du matin. Quelques minutes plus tard, la femme avec qui il commence une relation vient frapper à sa porte et lui apprendre qu’elle vient de quitter son compagnon. Trop d’informations pour Josh, qui avoue s’être couché « deux heures auparavant ». Le téléphone sonne. C’est Leo McGarry, le chef de cabinet du Président, que l’on voit déjà installé à son bureau, en compagnie de son assistante. Il appelait Lyman pour lui signifier qu’il était attendu ASAP au boulot. Et c’est tout le temps comme ça. Pas un épisode où tel ou tel personnage ne se vante d’être au bureau depuis 5h du matin et de ne le quitter qu’après 23h.
Cet aspect-là n’est pas nouveau dans les séries américaines et tout particulièrement dans les séries en hôpital. Certes, les médecins et les infirmières, de par le système de garde ont souvent des horaires élastiques. Mais certains des internes du Cook County Hospital ou du Seattle Grace sont visiblement des surhommes. On se souvient aussi de l’avocate Miranda, dans Sex and the City, qui jeune mère, doit batailler pour faire accepter qu’elle ne va travailler « que » 55 heures par semaines.
Ce qui pose problème ce n’est pas tant le réalisme de ce type de situation. Comme beaucoup d’autres, j’ai connu une période où je passais la journée et au moins le début de soirée à bosser. Non, ce qui est gênant c’est la glorification de ce comportement. Déjà, de manière prosaïque, après n’avoir eu que deux heures de sommeil, on est au mieux irritable, après deux nuits de ce type, on devient totalement contreproductif voire, dans le cas d’un médecin, carrément dangereux. Pour l’auteure de cet excellent article, cela va plus loin et légitime une philosophie ultra-libérale:
Dans les 15 dernières années, on a demandé à des millions d’entre nous de travailler beaucoup plus dans le même nombre d’heures, souvent avec moins de ressources. Cette accélération a souvent été accompagnée, et rendue possible, par des dégraissages et des licenciements. Cela impose également un énorme stress à la vie familiale et personnelle. Mais nous sommes censés ressentir que plus nous sommes occupés, plus nous sommes importants, et malheur à ceux qui n’ont pas de boulot.
The West Wing vante une politique libérale [dans le sens américain du terme, c’est à dire de gauche], et même parfois, la justice sociale. Pourtant la série sanctifie aussi l’attente qui veut que rester tard au travail est plus important qu’aller à une fête scolaire de votre enfant – ou même de voir un vieil ami.
Je pense que nous voulons tous croire pour une heure ou une semaine que trop travailler est glamour et excitant ; cela nous rassure sur nos heures supplémentaires. Ne perdons pas de vue ce qui est aussi légitimé ici.
Cette critique, écrite en 2002, est plus que jamais d’actualité. Fort heureusement, les qualités de West Wing ou d’Urgences compensent largement ce petit biais ultralibéral dans le fonctionnement de leurs personnages.